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- février 2, 2023
Pape en Rdc: Le Sermon de Ndolo-aéro

Des milliers de fidèles catholiques ont veillé sur le lieu de la messe papale, chantant des cantiques de joie et de louange. Plusieurs autres milliers de fidèles de toutes les confessions chrétiennes les rejoignent sur le lieu depuis les petites heures du matin. Ils ont bravé les intempéries et les menaces en tous genres pour venir prier avec le Pape François arrivé hier, mardi 31 janvier, dans une ferveur populaire indescriptible après avoir été accueilli au pied de l’avion, à l’aéroport international de Ndjili, par le Premier ministre Sama Lukonde.
Félix Tshisekedi, le chef de l’Etat, a reçu son illustre hôte au Palais de la nation pour lui souhaiter la bienvenue. On ne sait pas avec précision le message que le Pape a livré à Tshisekedi lors du tête-à-tête mais l’on peut cependant croire que le message papal a trait à l’avenir de la RDC menacée par les convoitises diverses du monde entier et à la capacité de l’Eglise catholique à jouer un rôle prépondérant dans la résolution de l’épineuse question congolaise. “J’ai beaucoup désiré me trouver ici et je viens enfin vous apporter la proximité, l’affection et la consolation de toute l’Eglise catholique”, a déclaré François. Il a dénoncé, sans ambages, le pillage de la RDC.
“Ce pays largement pillé ne parvient donc pas à profiter suffisamment de ses immenses ressources. On en est arrivé au paradoxe que les fruits de sa terre le rendent “étrangers” à ses habitants”, a déploré le Pape. Il a comparé la RDC à un diamant. Et puis boum! “Le poison de la cupidité a ensanglanté ses diamants”. Avant le Souverain pontife, Félix Tshisekedi n’a pas loupé l’occasion de tirer à hue et à dia sur le Rwanda, sans le citer et sur la communauté internationale.
“L’hospitalité qui caractérise les Congolais a été mise à mal par les ennemis de la paix et les terroristes venus essentiellement des pays voisins”. François l’a bien entendu et compris. Lui aussi a sonné la charge : “Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser.
Que l’Afrique soit protagoniste de son destin”. L’Eglise catholique qui, sans le dire ni le clamer, a montré qu’elle demeure une puissance XXXL à laquelle ne peut se comparer les petites confessions familiales qui polluent l’espace et accélèrent la ruine du pays.
Certes que le Pape ne met jamais en avant son poids, préférant emprunter à l’humilité du Christ dont il est le vicaire. Loin du confort des c o m p l e x e s bétonnés et des b â t i s s e s lambrissées, l’Eglise de la RDC a choisi un terrain vague pour accueillir le pontife romain qui n’a pas dit non à ce choix d’un banal aéroport qui ne présente aucun confort particulier.
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Les hangars qui servent encore de cimetière à quelques pièces de musée de LE PAPE FRANÇOIS À KINSHASA l’aéronautique congolaise n’espéraient pas tant d’honneur un jour avant de sombrer dans les ruines, faute de revivre une nouvelle vie dans les airs. Un de ses prédécesseurs sur le trône de Saint Pierre, le Polonais Karol Jozef Wojtyla, devenu pape Jean-Paul II, puis très rapidement Saint Jean-Paul II quelques années seulement après son retour auprès du Créateur, le Polonais qui a inauguré la papauté pélerine, voyageant de pays en pays, arrivé en terre congolaise à deux reprises en 1980 et en 1985, avait une histoire avec le Palais du peuple.
Lui, l’Argentin, Jorge Mario Bergoglio, le jésuite, pape François, ne verra la bâtisse chinoise que de loin, au passage, à travers les vitres blindées de la papamobile. Si du moins, il se la fait indiquer du doigt par son guide congolais. Pape François a rendez-vous avec le Congo et les Congolais, au lieu même du martyre de plusieurs d’entre eux péris dans la dérive d’un Antonov fou en janvier 1996 et qui n’ont jamais obtenu justice.
Ni les victimes, ni leurs familles. Et sur le site de Ndolo, le mot “justice” sonnera dans les creux des oreilles des Congolais comme une terrible flagellation à leur égarement, les gouvernants les premiers.
“Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés”, proclame la quatrième des béatitudes enseignées par Jésus luimême. Même si l’on p e u t considérer que le pape ne fera de sermon sur la montagne à personne, préférant plutôt puiser dans l’humilité, ses paroles sonneront comme une mise en garde contre tous les vices et toutes les antivaleurs qui n’ont que trop retardé l’accomplissement d’une vie des béatitudes au Congo, pourtant largement à la portée de ses habitants.
A Ndolo, ce matin du 1er février, le Souverain pontife ne va pas que déplorer la misère d’un peuple et d’un pays à qui le Créateur a tout donné, mais il va surtout apprécier et savourer la vivacité, le dynamisme et la créativité d’une Eglise locale qui a su se réinventer au fil des ans, notamment à travers une liturgie plus que vivante et priante. Depuis Rome, le pape François qui apprécie le charisme de Sœur Rita qui “commande comme un évêque”, avait déjà dit son impatience de venir au Congo.
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Ce sont les mille facettes de ce Congo contrastant, en guerre, en paix, qui pleure, qui chante et danse néanmoins, qui avance d’un pas et recule de plusieurs, c’est ce Congo-là que l’évêque de Rome rencontre sur le terrain vague de Ndolo. L’écho de sa voix tremblante portée par la technologie du haut-parleur parviendra jusqu’à Paka Djuma, le quartier-favellah, le bidonville d’à côté, où la survie de jeunes filles est au bout du sexe et la femme elle-même réduite à n’être qu’un exutoire de plaisir. Paka Djuma, c’est le visage humain de l’extrême pauvreté mais qu’aucun protocole, ni celui de l’Etat, ni celui de l’Eglise, n’a prévu de montrer au Saint-père.
Bien en face de lui, le pape apercevra l ’ ISTA, paradigme de la jeunesse étudiante bruyante, bouillante, parfois brillante mais aussi brouillonne, à qui le pays n’offre aucun horizon clair.
Plus loin que là, le pape argentin ne manquera pas d’aborder la guerre, les tueries de l’Est (Nord-Kivu, Ituri), de l’Ouest (Kwamouth, ans le Kwilu) ou les inégalités criantes entre la classe dirigeante et le reste de la population.
S’il peut éviter d’aborder frontalement la question des élections attendues cette année, François n’esquivera pas cette question dans ses échanges prévus avec les dirigeants politiques de la majorité et de l’opposition, guère d’accord sur la manière de conduire le processus électoral chahuté comme il l’est depuis la mise en place des juges de la Cour constitutionnelle et des membres du bureau de la Commission électorale nationale indépendante, CENI. Il en fera la synthèse pour exhorter tout le monde en une courte phrase: “Tous réconciliés en Jésus-Christ”. Après, celui qui a des oreilles pour entendre entendra…
K.P.