Politique-RDCongo: Bemba, ministre de la Guerre?

Politique-RDCongo: Bemba, ministre de la Guerre?

Qui peut le plus peut le moins, l’ancien vice-président et l’ancien speaker ne se font pas prier pourvu qu’ils retrouvent avantages et honneurs A Bemba, la guerre et à Kamerhe l’économie. A tous l’économie de la guerre.

En confiant à un ancien chef rebelle la défense du pays, Tshisekedi a sans doute choisi de faire la guerre. Jean-Pierre Bemba est donc le nouveau ministre, non plutôt, le ministre de la Guerre.

Ce que n’a jamais été un seul instant son prédécesseur, Gilbert Kabanda, bien que général à la retraite. Homme de poigne, Jean-Pierre Bemba dont le mouvement politico-militaire, le MLC, fut dans le passé une galactique des politiques aujourd’hui dispersés aux quatre coins du pays, écumant partis et regroupements politiques de la majorité au pouvoir ou de l’opposition, le plus souvent avec des fortunes diverses.

Bemba pouvait paraître comme l’homme de la situation tant l’enlisement à l’Est est évident. Mais la personnalité complexe, ambivalente et controversée de l’homme, pousse analystes et observateurs à la prudence.

FILE PHOTO: Jean-Pierre Bemba Gombo is seen in a court room of the ICC to hear the delivery of the judgment on charges including corruptly influencing witnesses by giving them money and instructions to provide false testimony and false evidence, in the Hague, the Netherlands, March 21, 2016. REUTERS/JERRY LAMPEN/Pool/File Photo

Ces vingt dernières années, JPB a projeté plusieurs images de lui. Du jeune homme d’affaires, peu connu que sous la figure tutélaire de son père, patron des patrons zaïrois, Jeannot Bemba Saolona, Jean-Pierre Bemba, conseiller inconnu du Maréchal Mobutu, rêve d’en devenir l’incarnation après la chute du vieux dictateur.

Il trouve grâce à Kampala où Yoweri Museveni apprécie son audace et le prend sous son parapluie pour son projet de rébellion, en fait un vrai projet de prédation qui dure jusqu’à ce jour.

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Même s’il se fait rapidement entourer de jeunes intellos et de quelques épaules galonnées des ex-FAZ, l’armée corrompue et défaite de Mobutu, son armée rebelle ne tarde pas de sombrer dans les pires excès dans les zones sous son contrôle jusqu’à se faire accuser de cannibalisme à Mambasa, en Ituri. Et puis l’épisode de l’incursion centrafricaine qui lui vaudra la prison à la Haye (CPI) achève une réputation d’homme insensible.

Pendant la transition 1+4, attelage inédit d’un pouvoir partagé, Bemba pilote l’économie mais dégage l’image d’un homme qui ne déteste pas l’argent, même public. Il opère un rapprochement avee Joseph Kabila au point d’effectuer un voyage à Rome à bord d’un même avion piloté par lui mais quand vient la présidentielle de 2006, Bemba n’hésite pas à affronter Kabila.

Un affrontement qui déborde des urnes pour se transporter dans les rues de Kinshasa, à la kalachnikov et à l’arme lourde. Avec des destructions et des morts à la clé. Il est vaincu et il s’exile, exfiltré via la mission diplomatique sud-africaine à Kinshasa.

Puis quand il est acquitté à la CPI de ses “crimes contre l’humanité”, le revoilà qui lorgne encore vers le fauteuil présidentiel que ne lui permet pas son casier judiciaire noirci par  le passage à la CPI qui lui reproche aussi “la subornation des témoins” que le droit congolais assimile à la corruption.

Il se tourne vers l’opposition qui lui ouvre les bras et le blanchit à Genève et lui permet de participer à la course sous les couleurs de Lamuka dont Martin Fayulu est le porte-étendard.

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Mais quand la victoire de Lamuka leur est volée par “le compromis à l’africaine”, Bemba n’hésite pas par la suite à dealer avec Tshisekedi, en compagnie de Moïse Katumbi pour convoler en justes noces dans l’Union sacrée de la nation. En attendant le  couronnement par le maroquin de la Défense, l’homme d’affaires à la tête du MLC se fait indemniser en millions de dollars US pour ses affaires tombées en ruine pendant les années CPI.

Aujourd’hui, ministre de la Guerre, il devra résoudre l’embarrassante question des troupes de Museveni, son ancien parrain qui fait mine d’aider la RDC dans le Nord-Kivu, en enfonçant un peu plus les ADF dans les profondeurs du territoire national, les éloignant par le fait même de la frontière ougandaise et élargissant ainsi le champ d’occupation des troupes ougandaises.

C’est en faisant équipe avec Vital Kamerhe qui va piloter l’économie du pays que la guerre que Tshisekedi entend gagner pourra prendre fin. Le duo le plus vanté de cette équipe Sama Lukonde, va donner au pays une économie de la guerre pour permettre à Tshiseked de gagner à la fois la guerre et les élections si elles ont lieu.

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Comment on articule une économie de la guerre? Vital Kamerhe a certes appris l’économie à l’université de Kinshasa mais le tableau devant lequel il se trouve aujourd’hui n’a rien de semblable à toutes les simulations que ses maîtres lui ont enseignées.

Plus de 60% du budget national disparaissent dans le fonctionnement des institutions et l’entretien de la classe politique. Malgré les antiennes chantées à longueur des discours, l’économie congolaise reste tributaire des minerais (cuivre-cobalt) et sa diversification n’est pas pour demain.

Or la seule zone minière contributrice de cette économie reste l’ex-povince du Katanga alors que le Kivu, dans son ensemble et l’Ituri demeurent des zones de conflit livrées au pillage et à la prédation des groupes armés et des armées étrangères, ougandaise et rwandaise en l’occurrence.

Leader provincial dans son Sud-Kivu, Kamerhe, plus préoccupé par sa grande ambition politique à l’échelle nationale, aura-t-il l’intelligence d’élargir le spectre d’une économie encore minière, en même temps qu’il doit se battre pour éviter de lézarder sa base menacée par l’émergence de Modeste Bahati, son frère de tribu qui ne lésine pas sur les moyens de gonfler son épaisseur politique?

Capture d’écran de la retransmission vidéo du verdict de la CPI sur l’affaire Bemba sur les crimes commis par les troupes du MLC en 2002 et 2003 à Bangui, en Centrafrique.
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Comme Bemba, Kamerhe traîne aussi une réputation sulfureuse d’un homme qui peut rapidement brûler ce qu’il a adoré la veille ou sanctifier ce qu’il a profané quelques jours plus tôt. Sur le registre, il n’est pas superfetatoire de rappeler son chef-d’oeuvre “Pourquoi j’ai choisi Kabila” qui ne sera jamais suivi d’un “Pourquoi j’ai quitté Kabila”.

Entre ces dernières nominations et l’échéance que tout le monde a à l’esprit, il y a du chemin. Et sans doute des bifurcations. La guerre et/ou l’économie; l’économie de la guerre, et peut-être la guerre de l’économie. Tshisekedi veut gagner les deux.

Mais que pense Bemba et que veut Kamerhe? Tshisekedi réussira-t-il la synthèse de ces deux ambitions, même en s’attirant les faveurs de Mbusa Nyamwisi, fin connaisseur des acteurs de la région des Grands lacs et de leur mégalomanie à nulle autre pareille?